Aujourd'hui lundi, je ne vais pas sauter dans ma Polomobile en début d'après midi, fenêtre météo-temporelle propice avant la sortie d'école de Tom à 16h30.
Je ne mettrai pas le cap sur toi.
Je n'aurai pas des sucettes Arlequin plein mon sac à main.
Je ne rentrerai pas dans votre maison accueillie par le " Salut, la grosse pas belle !" de ton père.
Je ne frapperai pas trois coups à ta porte avant de claironner "Coucou, beauté ! " ou "Salut, ma crevette !" ou autre variante aussi peu virile. Et d'ailleurs, comme tu disais si bien : "On s'en tape".
Je n'aurai pas ton "bonjooour" susurré dans mon oreille, ou l'étincelle de ton regard suivie d'un sourire les jours de grosse patate.
Aujourd'hui lundi, et demain, et après demain et les jours d'après, putain ça me semble déjà très long tout ce temps sans toi, je n'ouvrirai pas l'emballage de nos sucettes et je ne te dirai pas "Tchin, ma poule" au moment où on se les colle dans la bouche d'un air de fins gourmets.
Je ne chanterai ni à tue-tête ni à l'oreille de personne, je ne raconterai pas d'âneries plus grosses que moi et ça ne fera glousser personne. Je ne ferai pas semblant de ne pas savoir comment la télécommande du lit fonctionne, à la recherche de la touche "siège éjectable". Je ne te demanderai pas si tu seras là demain en te disant "Cool, moi aussi" et je ne remettrai pas en place la barrière de ton lit médicalisé en te recommandant de ne pas te sauver, hein, vieux filou.
Aujourd'hui lundi, je me suis réveillée pour la deuxième fois en deux jours avec la gueule de bois de la peine. De la cendre plein les yeux. Mais j'ai ensuite bien tout fait en vous évitant soigneusement, toi et ton souvenir, dans ma routine matutinale. Le bleu de tes yeux n'est pas venu troubler la couleur caramel de mon thé au lait, ta tignasse blonde n'est pas venue s'emmêler dans les lacets de mes chaussures, ton sourire de beau gosse n'a pas déchiré la couche des nuages plombée au-dessus du champ d'à coté. Rien que du très normal, du très chiant, du très lundi-lundi. J'ai bien coché, comme tous les autres jours, les petites cases "cartable", "gamelle du chat", "chaussettes propres", "clefs de voiture". Mais quand Tom, entre une révision de 6 fois 8 et "pouvoir" futur simple 1ère personne du pluriel, m'a demandé sur le chemin de l'école si je pensais VRAIMENT que comme le petit Jésus tu allais revenir un jour parce que lui, il doutait FRANCHEMENT que ça soit possible, tu m'es revenu. Bing, en pleine face.
Toi et tes lacets jamais lacés, tes points sur les i manquant systématiquement et que je rajoutais en rouge sur tes copies, en bonne professeuse un peu chiante. Et puis tu m'as eue à l'usure et j'ai laissé tes i tranquilles à jamais. Toi et ta dégaine à jamais débraillée, tes mains qui s'envolaient constamment comme des petits papillons quand tu parlais, ta sagesse de 342e lama réincarné Rinpoché face à tous ceux qui nous énervent, les cons, les bêtes, les méchants. T'aurais pas été fier de moi et de la boule dans mon ventre à ce moment-là, mon Pépé d'amour, c'est sûr. Parce que j'en ai pris un, un con, un bête et un méchant et je te l'ai houspillé comme un malpropre. Very anti- bouddha style, tu vois. Et puis j'ai raccroché mon téléphone portable. Tu t'es alors posé sur mon épaule l'air un peu ennuyé de toute cette débauche de gros mots car t'aimes pas ça et j'ai pleuré en me disant qu'il y a vraiment quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark, où Ophélie se suicide, où Hamlet devient dingo et où mon petit Perig meurt à 26 ans.
"Pars vite et reviens tard" c'était juste le titre du livre que je t'ai lu samedi, mon bonhomme. T'étais vraiment pas obligé de prendre ça de façon si littérale, gros bêta.
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