Ma vie en Rose

Eh dis, tu sais pas ? M'est avis que mon hiver prend fin. Un truc dans l'air, je l'ai senti. Un alizée souffle sur mon tertre au milieu de la brafougne de ces jours-ci. Et balaie les cumuli (un cumulo, des cumuli ?) au dessus de ma tête de fouine. La torpeur s'estompe, l'envie ressurgit. Avec un grand E, hein.  Encore hier j'étais grizzli, et aujourd'hui je me sens luciole. Il fait plus clair dans ton ciel, Vento, les jours rallongent ?

Alors, j'ai envie de trucs de filles. Comme ces chaussures. J'en avais vu des roses, des salomés. J'en étais obsédée comme je peux m'enticher quand je m'entiche (j'ai jadis fait une heure et demie de route aller puis retour pour aller faire l'ouverture du  magasin qui vendait des chaussures idéales à troustrous en chevreau dans la bourgade de Ploërmel. Si, si je suis capable de ça... et le plus beau c'est qu'à l'époque je n'avais pas le permis ! ) Et puis non, même grave entichée, des fois je sais que ça n'est pas possible, le couperet de l'essayage qui tombe telle la feuille de boucher. Je m'assagis... Mais alors que "non, vraiment, j'aurais voulu de la couleur et puis non, des talons, vous dites ? Moi ??" la paire surgit de son papier rose et pif, paf, kodak...

Des dragées à mes pieds. Noir jais. Non, pas du zan. Ni le Stoptou de tonton qui refoule du goulot. Si les dragées étaient noires plus souvent, tu serais d'accord avec moi. 

Mes premiers escarpins ! Le vertige des cîmes, là-dessus... et se voir dans la glace, incrédule d'abord "c'est qui là, la cousine vieux marchoise de Dita Von Teese ?" et puis oh purée, un truc que les hommes ne connaîtront jamais : comme tout change avec le pied cambré... L'allure.     

Alors, finalement, j'aime bien être une fille. Finalement. J'ai des épiphanies tardives, mais elles arrivent. Parce que je pensais que la féminité était fatale, que les seins ça fait mourir, hein, maman ? Je suis toujours subjuguée quand je vois des petites nénéttes si femme-femme à 13 ans et vas-y que je te, à grands coups d'eye liner et BB cream alors que je deviens tout juste fille. Va falloir que j'accélère la cadence car je serai jeune fille en fleur à la maison de retraite... Parce que pour que j'y aille, en féminité, il faut me prendre par la main, be my guide, be my light. Il m'en faut des qui éclairent un chemin que je ne voyais pas pour moi. Qui me font comprendre que les mots "ballerines", "organdi", "breloques", "blush" sont beaux, certes, mais aussi accessibles, à portée d'une griffe laquée comme une voiture italienne. Que dans quelques grammes de dentelle il y a autant de vitamines du bonheur que dans un steak Jean Rozé. Que la sensation d' une jupe et de bas, c'est byzance, les travelos sont des hommes qui ont tout pigé !

A Bambi, transexuelle bien connue, à tomber par terre de beauté. A sa voix, ses gestes, sa démarche. 

A qui m'a dit que j'étais belle, et que j'avais du style. 

A qui m'a sortie la tête de mon nuage carbone, sans s'en rendre compte. Viva Frank Sinatra et John Keats. Et les pissotières garçon.

A messieurs Louboutin, Choo et Blahnik. Et à Rose Repetto.

Je te bise sans me mettre sur la pointe des pieds, t'as vu comme j'ai grandi, d'un coup ?

Ventoline